Ces mesures qui indignent les manifestants
Si elle n’est pas nouvelle à proprement parler, la TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, aussi appelée « taxe carbone ») a augmenté de façon considérable dans les dernières années (hausse estimée à 63 % depuis deux ans) et elle devait augmenter à nouveau, de façon progressive, à partir de janvier 2019.
Pour nombre de Français des régions, tributaires de l’automobile, cette nouvelle hausse est la goutte d’eau – ou plutôt d’essence – qui a fait déborder le vase. La taxe de trop. L’élément déclencheur du mouvement des gilets jaunes. Cette hausse leur semble d’autant plus insultante que le gouvernement a affirmé qu’elle servirait à financer la transition énergétique, alors que les quatre cinquièmes de l’argent perçu iraient en fait au budget général de l’État.
Sans surprise, c’est le premier point sur lequel a plié hier le premier ministre.
Dans une intervention télévisée, Édouard Philippe a dit hier « entendre » et « mesurer » la colère des Français qui aspirent à « vivre dignement » et qui ont l’impression de ne pas pouvoir « joindre les deux bouts ». Ajoutant qu’il est parfois « nécessaire de garder le cap pour gouverner la France », il a reconnu qu’aucune taxe ne méritait « de mettre l’unité de la nation en danger ».
Le premier ministre a annoncé, dans la foulée, que l’État allait suspendre pendant six mois la taxe sur l’essence et le diesel qui devait entrer en vigueur au début de janvier.
En suspendant ainsi la hausse de taxe sur le carburant, l’État a répondu – en partie – à l’une des revendications majeures des gilets jaunes. Mais dans la rue comme dans l’opposition, peu semblaient satisfaits de ce pansement provisoire, que le politologue Jean Petaux décrit comme un simple « colmatage de brèche ». Sur les réseaux sociaux, des gilets jaunes ont d’ailleurs appelé hier à intensifier la contestation, alors que de nouvelles manifestations sont prévues samedi prochain.
Votée au début du quinquennat d'Emmanuel Macron, la réforme de l’ISF (impôt de solidarité sur la fortune) est une des grandes responsables de la grogne actuelle. De nombreux Français ne pardonnent pas à Emmanuel Macron d’avoir partiellement aboli cet impôt, créé sous François Mitterrand, qui ne concernait que les plus grandes fortunes de France (1,3 million d’euros et plus).
Ainsi, seul le patrimoine immobilier sera désormais imposé, alors que l’ISF s’appliquait auparavant à toute forme de capital (comptes en banque, placements financiers, immobiliers, meubles, bijoux, véhicules).
Cette mesure a grandement contribué à l’image de « président des riches » qui colle désormais à Macron. Elle a aussi provoqué un sentiment d’injustice dans la population plus modeste.
« C’est un impôt qui ne rapporte pas beaucoup d’argent, nuance toutefois Thai Huynh, enseignant-chercheur en économie à l’Université de Poitiers. C’est surtout symbolique. C’est devenu un totem. Dès que tu enlèves ça, tu t’exposes à des réactions. »
Il s’agit de l’une des premières mesures prises par le gouvernement, dès juillet 2017 : elle consiste à diminuer de 5 euros les allocations pour le logement, destinées aux plus modestes, au prorata de leurs revenus. « Ça a eu un effet désastreux en termes d’image. D’un côté on supprimait l’impôt sur les grandes fortunes, de l’autre on poussait la mesquinerie jusqu’à retirer 5 euros de plus aux allocations », souligne le politologue Jean Petaux, professeur à Sciences Po Bordeaux.
L’idée est simple : augmenter la contribution fiscale des retraités dans le but de baisser les charges salariales de la population active. Entrée en vigueur en janvier 2018, cette « hausse de la CSG » (contribution sociale généralisée) pour les retraités se traduit par une baisse des pensions, mais ne concerne toutefois que les retraités gagnant plus de 1200 euros par mois. Elle avantage en outre les salariés, dont certains, ironiquement, font partie du mouvement des gilets jaunes.
Rappelons que la France est le pays européen avec la fiscalité la plus lourde, avec 48,4 % de prélèvements à la source en moyenne par personne. « C’est le prix à payer avec un État-providence », nuance toutefois Thai Huynh, en rappelant que les Français ne paient ni pour la santé ni pour l’éducation.
En vigueur depuis juillet 2018, la baisse de la limite de vitesse sur les routes secondaires touche essentiellement la population de province, qui dépend de la voiture au quotidien. Certains voient dans cette mesure une façon sournoise de « taxer » les habitants de la « France périphérique » (en marge, géographiquement et socialement), par d’inévitables contraventions. Depuis le début de la crise, des dizaines de radars ont d’ailleurs été vandalisés ou détruits par les gilets jaunes.
L’avis du politologue
Pour Jean Petaux, professeur à Sciences Po Bordeaux, il serait très étonnant que le recul du gouvernement observé hier suffise à acheter la paix. La France souffre selon lui d’un malaise plus profond, avec une fracture sociale qui ne cesse de s’agrandir. « Cette mesure clairement temporaire ne saurait résoudre la crise puisque la crise va bien au-delà d’une problématique du prix de l’essence. En réalité, on a affaire à un mal-être qui est beaucoup plus de l’ordre du ressenti, du sentiment, que d’une réalité objectivée. Le mouvement des gilets jaunes mobilise des gens qui ne sont pas dans la souffrance économique, plutôt de classe moyenne, mais qui craignent un possible déclassement. On est vraiment dans une forme de perte d’estime de soi. Une forme de jalousie exprimée à l’égard d’une population considérée comme étant profiteuse et privilégiée. À mon avis, l’annonce d’hier n’est qu’un colmatage de brèche, qui cédera à la première occasion. »